جمعية نهضة مدينة أطار

,Tandis que des Parisiens prenaient l’avion pour aller passer le week-end à Cannes
.des Dakarois s’envolaient vers le “pays des hommes bleus”

La plus forte température enregistrée a été de 46° à Atar, annonce fréquemment notre poste fédéral
Qu’à cela ne tienne ! Tandis que les Parisiens prennent l’avion pour aller chercher un coin de fraîcheur à Cannes, les Dakarois, eux, délaissent la presqu’île et s’envolent de Yoff pour aller passer un dimanche à… Atar

Folie, direz-vous ? Que d’aller en week-end dans une région qui se dispute avec Djibouti les plus !fortes températures du globe
Mais c’est là justement qu’on reconnaît le véritable touriste, celui qui n’hésite pas à affronter la chaleur pour fuir les banalités du quotidien.

Les 50 degrés n’ont point fait peur aux Dakarois. Il faut avouer que la SOCOPAO, qui organisait pour le 15 août ce voyage touristique de 3 000 kilomètres au pays des hommes bleus, a trouvé là une formule nouvelle qui a enchanté les vingt touristes ayant participé à cette excursion en Mauritanie, et revenus à Dakar le lundi soir.

Avec le développement des transports aériens en Afrique, une nouvelle étape vient d’être franchie : pour des prix très raisonnables, les Dakarois peuvent désormais s’échapper le samedi après-midi de la ville impériale et visiter tour à tour Bamako, Bissau, Bathurst, Conakry ou même Abidjan, avec retour assuré le dimanche soir.

Grâce à l’initiative du service aviation de la SOCOPAO et à la compagnie Aigle Azur, le tourisme aérien va prendre un nouvel essor. Souhaitons qu’il enchante d’autres Dakarois, comme il a ravi ceux qui ont participé à l’excursion d’Atar.


Vingt touristes casqués

Dimanche matin, 9 h 30, à Yoff.
Sur le parking tout ensoleillé, les mécaniciens mettent la dernière main au DC-3 d’Aigle Azur qui vient se ranger devant l’aérogare.

Vingt personnes casquées, une petite valise à la main et l’appareil photographique en bandoulière, attendent l’heure du départ.
Il y a même un monsieur en veston et un autre, plus précautionneux, avec une couverture de laine roulée sur l’épaule — ne dit-on pas qu’à Atar les nuits sont fraîches ?

On attend deux retardataires, car, bien entendu, comme il y a des gens qui manquent toujours le train, il y en a qui trouvent le moyen de manquer l’avion. Ce fut le cas ce jour-là, et à 10 h 30 l’appareil décolla avec deux passagers en moins.

Le pilote, qui sait qu’il ne transporte pas des hommes d’affaires mais des touristes le nez collé aux hublots, vole à basse altitude.
Nous atteignons Saint-Louis, que l’on survole à cent mètres.
Défilent ensuite les rives plates du fleuve Sénégal, puis la piste de Rosso.
Cette fois, nous sommes en pleine brousse : rien que des herbes sèches, des touffes d’arbres et des arbustes épineux.
Les ombres des nuages et les taches de lumière mettent quelque relief sur ce paysage sans fin, sous un ciel trop vaste.

Apéritif, déjeuner à bord, le temps de griller quelques cigarettes ; M. Singer, l’aimable guide de ce voyage, nous signale que nous sommes en vue d’Atar.
Les visages s’écrasent à nouveau contre les hublots ; dans la brume, les maisons en banco se confondent avec le sable mauritanien.
Et c’est l’atterrissage. Il est 14 heures lorsque nous descendons sur la piste brûlante de l’aérodrome.


Au pays des hommes bleus

Un grand gaillard, taillé en athlète, sans casque ni lunettes de soleil, vêtu du traditionnel saroual, nous accueille : c’est M. Oswald, représentant de la maison Lacombe, un vieux saharien, le seul — avec le commandant de cercle — à posséder un frigidaire à pétrole !

> « Des touristes ? Foi de goumier, c’est bien la première fois que je vois des Français venir se promener à Atar ! »
nous dit, quelques heures plus tard, un sous-officier installé au bar du camp militaire, où nous n’arrivions pas à étancher notre soif.

Atar, il ne l’a pas quittée depuis huit ans. Et l’on comprend aisément l’attirance que peut exercer sur ceux qui l’ont traversée l’immensité de ces étendues et la sobriété lumineuse de ces paysages.

Ce fut un véritable enchantement lorsque, le soir venu, nous fûmes conviés au traditionnel méchoui.
Un vrai décor des Mille et Une Nuits.
Un vieux Maure servait le thé à la menthe que nous buvions machinalement, plus intéressés par les chants et danses guerrières qui se déroulaient devant nos yeux.


Excursion à Tsar Tochrène

Le lendemain matin, après une nuit au gîte d’étape, nous partons en excursion vers la palmeraie de Tsar Tochrène, à quarante kilomètres d’Atar, où nous devons pique-niquer.

Contrairement à la tôle ondulée des routes du Sénégal, la piste impériale sur laquelle nous roulons à soixante à l’heure est un véritable billard.
Sur la grisaille des rares buissons se détache, de temps à autre, la silhouette grêle et sombre d’une Maure venue on ne sait d’où.

Nous arrivons enfin à la palmeraie, toute verdoyante, avec son point d’eau où fourmillent les chèvres : véritable Éden de fraîcheur au milieu du désert suffocant.
C’est là que se retrouvent les bergers venus de campements lointains.

Nous déballons les victuailles, et le chauffeur nous conduit jusqu’à la passe de Tim Satt, d’où l’on découvre un panorama magnifique sur la route du Nord.
Nous ne rencontrons plus âme qui vive : une carcasse de chameau gît au bord de la piste ; plus loin, une petite croix de fer forgé marque l’emplacement d’un accident mortel dont furent victimes des militaires français.
Ce sont là les seules curiosités de ce décor rocailleux.
Puis, brusquement, nous découvrons la passe de Tim Satt, avec sa route en lacets : le site est à la fois grandiose et inquiétant dans le grand silence du désert.

La chaleur et la poussière nous suffoquent, et nous regagnons bien vite la palmeraie.
Sous la fraîcheur des palmiers, les boys ont installé la nappe : apéritif, pique-nique, chansons…
L’heure du retour approche.
Encore quelques photos, et tandis que le camion reprend la piste, le dernier troupeau de chèvres quitte la palmeraie pour s’enfoncer dans les sables vers le campement.

On perd de vue la palmeraie de Tsar Tochrène. Premiers regrets.
À Atar, les derniers instants sont mis à profit pour acheter quelques coffrets ou poignards maures au marché.

Puis c’est le retour vers l’aérodrome, où déjà les moteurs ronflent.
À 17 heures, l’appareil décolle ; après un savant piqué sur l’école mauritanienne, nous franchissons les hauts plateaux.
Trois heures plus tard, ayant essuyé une petite tornade au-dessus de Saint-Louis, les vingt touristes, rompus de fatigue mais heureux de leur tournée, arrivaient à Yoff et se précipitaient au bar de l’aéroport pour y boire une bière fraîche — la seule chose qu’ils n’avaient pu trouver à Atar.

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Paris-Dakar, n° 4139, vendredi 26 août 1949, journal de l’Afrique occidentale française publié à Dakar.

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